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Le vaisseau se déplace à une vitesse absolument effarante et pourtant, sans proche repère, il semble absolument immobile au milieu du vide qui s’étend entre les étoiles de la galaxie. Ses moteurs, qui l’ont fait accélérer jusqu’à près de soixante-quinze pourcent de la vitesse de la lumière, sont éteints depuis longtemps mais en l’absence de résistance, il continue sur sa prodigieuse lancée. Un message ancien est capté par l’antenne radio et les algorithmes de décryptage se mettent en route et font chauffer les transistors. Le traitement du signal dans les cerveaux en silicium cherche à éliminer le bruit de fond de l’espace. Enfin, une voix douce et grave fait grésiller les vieux hauts parleurs.

« Ecoutez mon histoire. Je m’adresse aux voyageurs des étoiles, ne coupez pas la transmission et écoutez mon histoire. »

La voix résonne dans les vieilles coursives métalliques.

« Depuis des centaines d’années, une légende se transmet de génération en génération dans ma famille. Elle raconte que l’amitié d’une étoile aurait sauvé un des mes aïeux qui était un orphelin dans une ville en guerre. Ma grand-mère m’a raconté cette histoire quand j’avais cinq ans je crois. Elle m’avait expliqué que si je tournais mes pensées régulièrement vers la petite étoile scintillante située juste en dessous de la ceinture d’Orion, l’Etoile me conseillerait et me protègerait. Je me rappelle encore de l’émerveillement avec lequel j’ai regardé l’Etoile ce soir là. Toute mon enfance j’ai suivi le conseil de ma grand-mère et cela m’a réussi. L’Etoile fut d’abord mon amie, puis ma confidente. Mon plus grand rêve était de pouvoir un jour aller la voir en personne, en quelque sorte… »

La voix s’arrête dans un souffle étouffé, comme si le conteur essaie de refouler une puissante émotion. Les haut-parleurs crachotent quelques salves désordonnées. L’antenne a probablement capté les fragments d’une explosion lointaine et oubliée.

« Les missions robotisées d’extraction minière vers Alpha et Proxima du Centaure étaient des réussites. La prochaine étape était les missions d’exploration et j’avais bien l’intention d’en être. Il m’a fallu vingt ans d’entrainement et de persuasion pour réussir à mettre sur pied la mission vers l’Etoile. Pendant toutes ces années, mes rêves sont devenus de plus en plus sombres et insistants. Dans la dernière année avant le départ, je fis plusieurs fois le même rêve : un vieil homme, tournant le dos à un immense volcan en éruption me suppliait de ne pas entreprendre mon grand voyage. Mais j’ai été imperturbable et je suis parti de la base d’envoi lunaire le 31 janvier 2754. Le trou de ver qui allait me permettre de franchir les cinq milles années lumière qui séparent le Soleil de l’Etoile devait être ouvert à l’extérieur du système solaire. Au cours des deux ans de trajet en direction de ce raccourci entre deux points si éloignés je ne pouvais penser qu’à ma destination. Le passage du trou noir fut… indescriptible. Intellectuellement, je comprenais ce qui se passait. J’avais travaillé sur ces équations tellement de fois que je savais à quoi m’attendre. Mais le vivre… Voir l’univers entier s’écarter autour de soi, subir les effets de marée et ressortir de l’autre côté… En un instant avoir parcouru tant d’années lumière… »

Il y a une pause, l’onde transporte seulement le bruit d’une respiration profonde pendant quelques instants.

« Dès que je suis arrivé de l’autre côté, j’ai vu l’Etoile au centre de mon champ de vision. Les instruments de bord me permirent de définir qu’elle était au tout début de sa séquence principale. C’est la partie de la vie d’une étoile pendant laquelle elle est stable et que la vie peut se développer sur les planètes du système. J’en comptais sept. Quatre géantes gazeuses et trois petites rocheuses. Après une analyse plus poussée, je mis le cap sur la deuxième planète en partant de l’Etoile. Mes instruments m’indiquaient une forte présence d’eau sur cette planète et cela me sembla un bon point de départ pour l’exploration de ce nouveau système. Le trou de ver s’était refermé derrière moi. Il n’y avait pas de retour possible. Alors pendant les 14 mois que dura mon voyage vers la planète, je me surpris plus d’une fois à tourner le regard en direction du Soleil. Il brillait d’un éclat bleuté et je pensais avec émotion que l’image que je voyais correspondait à l’époque des pharaons, eux-mêmes grands adorateurs du Soleil. Je me mis à rêver de la Terre, de la vie dans les immenses mégapoles du Moyen-Orient. Et plus je rêvais de la Terre, plus mes yeux et mes pensées se tournaient vers l’étoile qui avait vue naître l’humanité. Inconsciemment, j’avais déjà fait le lien je crois. Mais comment aurais-je pu prévoir ce qui allait arriver. »

Le conteur est silencieux à nouveau. Les haut-parleurs crépitent doucement puis crachent quelques salves de grésillements. Un peu de bruit de fond qui a échappé aux fonctions de lissage du signal. Les sons se répercutent contre les murs métallisés et résonnent dans les coursives plongées dans l’obscurité. Des bruits de tissus qui se froissent résonnent ensuite. Puis le conteur toussote trois fois pour s’éclaircir la voix.

« Je me suis posé de nuit sur la planète océanique, constellée de petites îles. En sortant du vaisseau après plus de trois ans de voyage, je fus assailli par les odeurs. Je m’y attendais. Après tout ce temps à inhaler ma propre respiration et à n’avoir que mon odeur à sentir, la multiplicité des fragrances me fit tourner la tête. Il me fallut une bonne heure avant de pouvoir prendre une inspiration profonde sans éternuer et une autre heure avant que mon odorat ne cesse de s’enflammer. Et puis l’Aurore aux longues boucles dorées et à la robe de safran se leva. Je veux dire littéralement. Ce n’était pas un soleil qui franchit la ligne de l’horizon, ce fut une jeune femme au visage astral, précédée par les fils brillants de ses cheveux et qui tirait derrière elle une robe orangée qui emplissait le ciel. Et puis la terre s’éveilla. Et une nouvelle fois je l’entends de façon littérale. Je la sentis s’ébrouer sous mes pieds et prendre une profonde inspiration. Le sol s’aéra, comme des pores qui s’ouvrent. Et les ruisseaux chantèrent entre les roches et les arbres étirèrent leurs branches et les oiseaux se répondaient en se pépiant les uns sur les autres. Et cela toujours littéra… Enfin je pense que vous avez saisi le principe maintenant. »

La voix s’emballe et finit les descriptions en une expiration souriante.

« Je regardais autour de moi émerveillé devant toutes ces fantaisies lorsque j’aperçus sur une colline le cheval de mes rêves. Il avait le crin rouge-orangé pareil à une flamme en mouvement et des sabots étincelants. Je rêvais de lui quand j’avais une dizaine d’années. Il était le compagnon de toutes mes aventures. Il hennit en me voyant et dévala la pente pour me rejoindre. Arrivé à côté de moi, il posa sa grande tête sur mon épaule, comme dans mes rêves. Et je me surpris à lui gratter affectueusement le cou complètement sous le choc de cette impossible rencontre. Inconsciemment, j’ai murmuré ‘Alenka’ dans l’oreille du cheval et il secoua sa crinière en reconnaissant son nom. Cette première journée sur ce nouveau monde fut extraordinaire et pourtant tout semblait si familier. Au crépuscule, je me mis à attendre que la nuit vienne, impatient d’assister à ce que ce monde étrange me réservait encore. Et quand enfin elle apparut, ce fut sous la forme d’un vieillard aux traits doux et sage qui enroulait délicatement la robe de lumière sur elle-même pour laisser briller les étoiles.

Cette nuit, j’ai rêvé d’animaux fabuleux et d’arbres aux fruits gros comme ma tête qui grandissaient au bord d’un lac faisant juste assez d’ombre pour y faire la sieste. Et le lendemain mes explorations m’ont amenées vers une rive en tous points identiques à celle de mon rêve. J’étais en extase, j’avais le sentiment que la planète me parlait directement.

Quelques jours plus tard, une nostalgie me prit et je levais à nouveau les yeux en direction du Soleil. Je me mis à rêver que des myriades d’animaux fantastiques se jetaient à l’assaut des blocs de béton qui avaient enlaidis ma ville, que des villes englouties rejaillissait des flots de la Méditerranée et que je surfais sur la lave des volcans en éruption à Hawaii. Plus je rêvais de la Terre et plus les animaux fantastiques en provenance du nouveau monde que j’explorais s’immisçaient dans ces rêves.

Puis une nuit, je refis le rêve du vieil homme et de l’immense volcan. L’explosion faramineuse éjecta dans le ciel rouge une effarante quantité de poussière et un immense fleuve de lave vint s’écouler sur les roches noires. En me levant le matin, j’avais un désagréable goût de soufre dans la bouche. J’allais donc dans le vaisseau, chercher de quoi faire passer la sensation, quand je fus attiré par une alarme des instruments automatiques. Je passais sur l’écran de contrôle pour visionner ce qui avait bien pu déclencher cette réaction. Une planète noire apparu sur l’écran et je reconnus immédiatement la première planète orbitant autour de l’Etoile. L’image zooma sur le plus grand des volcans et je commençais à me sentir mal à l’aise. Le désespoir m’agrippa au moment où le volcan explosa et que je vis les fumées noires qu’il vomissait et la coulée de lave.

Ce matin, l’aurore n’était plus qu’une vieille femme qui peinait à éclairer le morne vallée dans laquelle je me trouve. J’essaie de ne plus dormir, mais quand le sommeil me prend, mon inconscient me montre des images cauchemardesques. »

La voix s’étrangle sur ces derniers mots.

« S’il vous plait, assurez-moi que la Terre n’a pas été la victime de mes rêves. »

La voix suppliante se répercute dans tous les recoins du vaisseau mais il n’y a personne pour y répondre. Alors le message repasse dans l’ordinateur est réencodé, amplifié puis réémis, lancé une nouvelle fois dans le noir, à la recherche d’une oreille attentive.

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