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Dans sa chanson “Fearless”, Saul Williams se présentait comme « a poet who composes what the world proses and proses what the world composes ». C’est merveilleux la musique. Une chanson raconte tellement de choses. Il y a les paroles, le sous-texte, la mélodie, les arrangements et la production. Quand c’est bien fait, chacune de ces parties raconte sa propre histoire. Je ne suis pas critique musical et je n’ai aucune envie de l’être. Je ne suis pas musicien, je suis malheureusement bien trop paresseux pour cela. Et puis je ne suis pas un poète non plus. Je me contente d’essayer de mettre en prose ce que la musique me fait ressentir, ce qu’elle m’apporte.

La musique est un langage universel, il n’y a rien comme la musique pour transmettre des émotions. Une musique triste ou dansante le reste quel que soit le lieu et les gens avec lesquels on l’écoute. Et pourtant, quel occidental n’est pas dérouté de premier abord par les accords dissonants de la musique traditionnelle, japonaise ou chinoise ? Lequel d’entre nous peut prétendre comprendre toutes les nuances de la musique arabe ? Voilà le formidable potentiel de la musique : langage universel qui permet d’exprimer les différences pour ensuite mieux les fusionner. La musique est à la fois un formidable accélérateur de formation et d’identification culturelle tout en restant un des meilleurs vecteurs d’universalisme.

Alors pour ouvrir cette rubrique musicale, j’ai choisi d’associer la musique à une autre expérience commune et pourtant si culturellement spécifique de l’humanité : la mort. Quelle musique faudrait-il passer à mon enterrement ?

Si je devais mourir aigri, sans ami ni amour, toute joie m’ayant quitté avant que mon âme ne suive le même chemin, je pense qu’il serait de bon ton de jouer un peu de Brassens à mon enterrement. Un truc du genre “Les amoureux des bancs publics”, ou “Les copains d’abord”. Ainsi, mon fantôme jauni par l’extrême concentration de bile (ce qui ne veut pas dire que les asiats sont tous aigris), pourra se rappeler les vertus cardinales que sont l’acceptation et même l’amour de ceux qui, étant plus heureux que les autres, étalent leur bonheur avec autant de classe que Divine dans un film de John Waters. (Pour rappel, Divine était l’héroïne de six films de John Waters, dont le célèbre Pink Flamingo, connu pour contenir une scène où Divine mange un étron ; un vrai).

Si je devais mourir végétarien, prosélyte des bienfaits de l’égalité entre les humains et les animaux, conspueur de la cruauté des abattoirs et empêcheur de profiter d’un steak bien saignant, je pense qu’il faudrait passer à la fois “Meat is murder” des Smiths et “Spawn again” de Silverchair. Dans cet ordre. La première parce que je l’ai toujours trouvée sacrément nulle et que mon fantôme en l’écoutant ne pourra que se rappeler des conneries que le végétarisme engendre. La deuxième parce que je doute que les végétariens restants dans la salle (eh oui ! Malheureusement si je meurs végétarien, il risque d’y avoir une présence minimum de ces moralisateurs de la bonne chère. Pardon d’avance), accepteront de subir les assauts des riffs et des cris de Daniel Johns (le chanteur de Silverchair). Personnellement, je l’aime bien cette chanson “Spawn again”, d’où l’importance de passer d’abord les Smiths pour que mon fantôme fuit, puis Silverchair pour faire fuir les autres végétariens. Comme ça vous pourrez manger tranquillement une bonne entrecôte en mon honneur.

Si je devais mourir sur la côte californienne, criblé de dettes, laissant une petite fille de moins de douze ans au doux prénom d’Annie, merci de jouer la chanson “Wrong way” de Sublime. Ce sera une ultime leçon paternelle d’au-delà de la tombe. Un message hollywoodien que mon fantôme pourrait lui chanter aux moments difficiles de sa vie pour m’assurer qu’elle ne remboursera pas mes dettes en se prostituant. Si au contraire j’avais la chance de mourir riche, mais toujours en Californie, faites-vous plaisir avec un petit “Rock superstar” de Cypress Hill. Mais attention, j’insiste qu’il faut que je meure en Californie pour ces deux cas. En effet, ainsi que l’ont chanté Phantom Planet ou The Mamas and the Papas, la Californie c’est quand même autre chose.

Si je devais mourir à vingt-cinq ans… Bon j’admets qu’ayant déjà largement dépassé ce stade, le reste de ce paragraphe pourrait être considéré comme un exercice de style superflu. Mais, ainsi qu’un solo de guitare de Jimi Hendrix, John Petrucci (Dream Theater) ou Robert Fripp (King Crimson), aucun exercice de style d’est superflu. Donc, si je devais, hypothétiquement, mourir à vingt-cinq ans, je voudrais qu’on passe “L’imbécile heureux” de Fred (vidéo non disponible). Déjà parce que mourir à cet âge c’est quand même très con, mais surtout parce que à vingt-cinq ans, j’étais encore (ou déjà c’est selon) un imbécile, mais ça me rendait très heureux de l’être. Et puis surtout pour voir la gueule des gens quand ils entendront les paroles suivantes : « C’est juste les vingt-cinq premières années qu’étaient un peu difficiles. Pourvu que celles qui viennent juste après soient un peu plus dociles. » Ha ! Les années juste après ma mort… (hihihi) plus dociles… (hahaha). Si je n’étais pas déjà mort à ce moment, je pense que j’en mourrais de rire sur place.

Si je devais mourir de rire justement, ce serait sacrément compliqué car peu de bonnes chansons traitent du rire. Quand j’écris « bonnes chansons », je veux évidemment indiquer « chansons que j’aime ». J’entends déjà les cris d’orfraie des amateurs de pop sucrée me faire une liste (il est par ailleurs (c'est le principe d'un digression (oh la belle digression dans la digression)) intéressant de constater que la phrase précédente ne veut strictement rien dire : vous avez déjà vu des cris faire une liste vous ?). Je n’en veux pas de cette liste, je veux ma liste de chansons que j’aime. Non que la pop susdite n’est pas appréciable. J’en ai quelques spécimens dans le disque dur, à l’instar de ‘’Barbie Girl’’ de Aqua. Mais même la pop est souvent traversée d’élans mélancoliques. Des chansons chorales des Beach Boys aux douceurs éphémères de Voulzy en passant par les scies entêtantes d’ABBA. Cela ramène inévitablement à l’ultime question existentielle, celle posée par Nick Hornby dans son sublime roman ‘’High Fidelity’’ et parfaitement édictée par John Cusack dans le film du même nom : ‘’Suis-je triste parce que j’écoute de la musique pop, ou est-ce que j’en écoute parce que je suis triste ?’’ Et c’est donc là que ‘’Zorro est arrivé’’. Déjà parce que c’est la fin du paragraphe et qu’il fallait bien une transition, et que trouver une transition après une question existentielle n’est pas évident. Demandez à Shakespeare. Mais surtout parce que je crois que personne ne peut écouter cette chanson sans se mettre à se gondoler et à chanter.

Si je devais mourir sans aucune connaissance ni compréhension de la musique en vogue au moment de ma mort, je souhaiterais que l’on passe le plus vieux morceau jamais enregistré. Cela afin de se souvenir que nous ne sommes jamais que des feux de paille et que peu importe la musique du moment (d’ailleurs il y a de grandes chances pour que je la trouve complètement merdique cette fichue musique du futur), l’important est que la musique soit atemporelle. En plus, il est émouvant cet enregistrement, tellement fragile. On dirait qu’il est à la limite de disparaitre. La musique est pareille, c’est un art qui semble tellement noyé sous les productions réalisées pour être vendues, qu’on peut avoir peur qu’elle ne disparaisse. Un dernier soupir qu’on n’entendrait pas dans le vacarme ambiant.

Si je devais mourir dans une dictature oppressive et liberticide (c’est la fête du pléonasme aujourd’hui), se poseraient trois cas de figure. Le premier c’est que je pourrais être un collabo. Personne n’est à l’abri d’un renoncement à ses idéaux. La facilité serait de passer un morceau des Collabos, alors allons-y gaiement. Le deuxième cas de figure, c’est que je n’ai rien fait. Cas de figure le plus probable si vous voulez mon avis. C’est pourquoi je préfère prendre les devants et proposer la chanson des Innocents ‘’L’Homme Extraordinaire’’. Parce qu’on ne chante pas assez les louanges de gens qui se contentent de faire ce qu’ils peuvent sans rien attendre en retour. Enfin, la dernière possibilité est que je meure en soldat de la liberté, résistant guevaresque, maquisard urbain ou guérillero progressiste (aujourd’hui c’est la fête des oxymores, vous me demanderez alors : « quid du guérillero progressiste ? » ce à quoi je répondrais que la plupart des guérillas sont d’origine religieuse : de la chouannerie au talibannisme). Les genoux infléchissables, le poing levé et la rage au ventre (et la bave aux lèvres…) Alors certains d’entre vous croient qu’ils me voient venir. Et bien non ! Je ne voudrais pas que l’on passe ‘’Vivre Libre ou Mourir’’ de Bérurier Noir. Alors là, je vois venir les petits malins se demandant si je n’essaie pas de refourguer la reprise de Tagada Jones. Même si c’est vrai qu’elle a du chien cette version, je ne me permettrai pas de passer ainsi sur la mémoire des Bérus et de transformer une chanson antisociale en hymne partisan. Dans ces conditions héroïques, le choix qui s’impose est celui de ‘’The Partisan’’ de Sixteen Horsepower avec Bertrand Cantat. Parce que cette voix, juste cette voix… Comment ne pourrais-je pas continuer le combat pour cette voix. Même depuis la tombe.

J’ai bien l’intention de continuer à raconter plein de conneries sur ce sujet. Je me permets donc de laisser ci-dessus un espace vide, prêt à être rempli ultérieurement par les idées prochaines que je pourrais bien avoir. Mais il faut quand même une conclusion. Donc redevenons sérieux un peu. Si je devais mourir violeur, tueur, voleur ou tout autre type de criminel autre que du genre Robin de Bois, Edward Snowden ou Arsène Lupin, je ne veux pas de musique à mon enterrement. Je ne la mériterai pas. En revanche, si je devais mourir heureux et entouré de gens qui m’aiment, j’aimerais pouvoir entendre “Immortality” de Pearl Jam une fois encore. Aucune dimension métaphorique avec cette chanson, puisque ce qu’elle raconte n’aurait rien à voir, donc ne faites pas attention aux paroles. Laissez-vous porter par la mélodie et la voix et fredonnez juste ce mot : « Immortality », parce que je serai en train de le chanter aussi. Et puis si je suis mort heureux et bien entouré, j’aurais atteint l’objectif le plus important dans une vie. Et ça, ça vaut bien l’immortalité. Même si ce n’est qu’en chanson.

Tag(s) : #Zique
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